Les 3 coups - 01/08/09

Publié le par Marie Liagre

Alice et versa, par la Compagnie Atmosphère (critique de Sarah Elghazi), Off du Festival d’Avignon 2009, Présence Pasteur à Avignon 

Lointain intérieur

 

« Alice et versa », quelles jolies sonorités… Alice inversée, renversée, versatile… En entrant dans la salle Pasteur, on s’attend certes à une reprise en main du roman de Lewis Carroll, si possible éloigné de toute sucrerie façon Disney… Mais je ne m’attendais pas à ce que la main soit si légère, ni à ce qu’elle aille si loin, avec cette idée géniale de consacrer comme nouvelle Alice une jeune femme moderne, qui doute et qui, à l’occasion d’une errance monstrueuse et créatrice, va se reconstruire.

 

Dès l’introduction, petit bijou de chorégraphie minimaliste, Marie Liagre et sa comédienne, Gaëlle Fraysse, font mouche. La violence de l’ordinaire, celle de la société, de son rythme inhumain, de son absurde métro-boulot-dodo se dévoile grâce au grain de folie d’une mise en scène qui tout à coup s’emballe. Elle fera sauter une à une toutes les résistances d’Alice, personnifiées dans la figure à la fois grotesque, émouvante et effrayante de sa mère. Tendre ogresse, celle-ci aspire l’existence et la parole d’Alice, et confie dans une logorrhée sans fin sa déception, son incompréhension, son attachement maladif à sa fille… qui ne rêve que de s’enfuir, d’évoluer « contre » ses parents et « contre » le monde, avec toute l’ambiguïté que ce mot contient. Elle accomplira ce désir fou en poursuivant un lapin blanc revisité, aux allures de clown blanc à la liberté irrésistible.

Le pas fatal enfin franchi, Alice évolue, hésite, grandit, rapetisse, mélange ses mots, quitte son carcan vestimentaire et social, croise nombre de créatures qui la poussent à remettre en question cette vision univoque de la vie qui la déçoit tant. Ainsi que l’avait souhaité sa conceptrice, Alice et versa s’appréhende avant tout comme un spectacle visuel. La poésie de cette histoire, qui évoque avec onirisme et pudeur la difficulté de grandir, est vécue dans un mouvement perpétuel, un monde scénique en constante évolution, portée par une musique originale qui soutient et développe les pensées des personnages, au-delà des mots. Un drap blanc qui se gonfle et remplit l’espace, ou le dévoile selon les besoins de la scène, évoque tour à tour une inquiétante forêt, un univers livide ou le ventre d’une mère trop possessive, dont on cherche désespérément, douloureusement, à s’arracher… À l’issue de cette traversée des origines, Alice s’accouche elle-même, enfin s’accomplit, ose prendre de la hauteur, comme dans la magnifique rencontre qui clôt le spectacle.

 

Ce voyage initiatique, porté à bout de bras par trois superbes comédiens, provoque par son épure, son humour délicat et la richesse de ses inventions une rare qualité d’écoute et d’émotion dans le public. Les enfants sont là, aux aguets, attirés par le souvenir du lapin blanc et de sa montre, de la chenille amnésique et de la forêt polymorphe vus dans le dessin animé. Le spectacle qu’ils découvrent va susciter chez eux une foule de réactions, de l’incompréhension – qui s’éclaire petit à petit – à l’éclat de rire communicatif. Une fois n’est pas coutume, les adultes qui les accompagnent partagent sincèrement cet enthousiasme. Cette Alice new age, héroïne expressive et tout sauf lisse, ne nous impose rien. Et suscite tout simplement l’envie de la suivre dans son délire salvateur… 

 

Sarah Elghazi

Les Trois Coups

www.lestroiscoups.com


http://www.lestroiscoups.com/article-34466143.html

Publié dans La presse en parle

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